2 novembre 2010
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Vient de paraître un recueil d'essais de G. K. Chesterton (1874-1936) dans la collection Revizor de L'Âge d'Homme. On y trouve un texte intéressant sur une des oeuvres à votre programme. En voici un premier extrait :
« (…) la base de toute tragédie est cette continuité vivante et périlleuse [de la vie humaine] qui n'existe pas chez les créatures inférieures. C’est le fondement de toute tragédie et c’est assurément le fondement de Macbeth. La grande idée de Macbeth, exprimée dans les premières scènes avec une énergie tragique jamais égalée peut-être dans Shakespeare ou ailleurs, est cette idée de faute énorme que commet l’homme lorsqu’il croit qu’un seul acte décisif va dégager sa route. L’ambition de Macbeth, quoique égoïste et d’une certaine manière maussade, n’est en soi ni criminelle ni malsaine. Il conquiert le titre de Glamis dans une guerre honorable; il mérite et obtient le titre de Cawdor ; il s’élève dans le monde et n’en retire pas de joie déshonorante. Tout à coup une nouvelle ambition lui est offerte (je parlerai bientôt de l’action et de l’atmosphère qui y préside) et il comprend que rien ne lui barre la route vers la couronne d’Écosse, rien, sauf le corps endormi de Duncan. S’il fait cette unique chose cruelle, il connaîtra un bonheur et une joie infinis.Là, je le dis, est la première et la plus terrible des grandes actualités de Macbeth. On ne peut faire une chose insensée dans le but d’obtenir la santé mentale. La folle décision de Macbeth n’est pas un remède à sa propre irrésolution. Il était indécis avant sa décision. Il est, si possible, plus irrésolu après s'être décidé. Le crime n'ôte pas le problème. Son effet est si déconcertant que l'on peut dire que le crime ne fait pas disparaître la tentation. Prenez une décision malsaine et vous n'en deviendrez que plus malsain ; faites une chose illégale et vous ne ferez qu'entrer dans une atmosphère beaucoup plus suffocante que celle de la loi. En fait, c'est une erreur de parler d'un homme qui « s’émancipe ». L’homme sans loi ne s’émancipe jamais, il commet une effraction. Il brise une porte et se trouve dans une autre pièce, il enfonce un mur et se trouve dans une pièce encore plus petite. Plus il fracasse, plus son habitation se rétrécit. Où il parvient, la fin de Macbeth nous l’apprend. »
Gilbert K. Chesterton ,
Les Macbeth, dans Le Sel de la vie,
Lausanne, L'Âge d'Homme, 2010, p. 59-60.