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3 novembre 2010 3 03 /11 /novembre /2010 12:16

Suite de l'essai de G. K. Chesterton sur Macbeth. Cette partie, consacrée au mal, est celle qui se rapproche le plus de votre programme :

«  Pour nous modernes, la première signification philosophique de la pièce est celle-ci : notre vie est un tout et nos actes illégaux nous enferment dans des limites; chaque fois que nous enfreignons une loi nous créons une limitation. D’une étrange façon, cachée dans les profondeurs de la psychologie humaine, si nous construisons notre palais sur quelque tort inconnu il devient peu à peu notre prison. Macbeth à la fin de la pièce n’est pas simplement une bête sauvage, c’est une bête sauvage en cage. Mais si c’est là le fait à mettre en exergue, il est quelque chose d’autre qui réclame au moins la deuxième place. La deuxième idée dans l’histoire d’ensemble de Macbeth est, bien sûr, celle de l’influence du mal sur l’âme, surtout la suggestion mauvaise de nature mystique et transcendantale. À cet égard, le caractère mystique des incitations n’est pas plus intéressant que le côté mystique de l’homme à qui elles s’adressent. (…) [61] (…) Macbeth est destiné à être, entres autres, un orateur et un poète et c’est à ce côté de Macbeth que [62] s’adresse l’appel surnaturel au mal. Qu’il existe quelque chose comme des influences mauvaises venant de l’au-delà, elles n’ont jamais été indiquées de façon aussi suggestive qu’ici. Elles en appellent, comme le fait toujours le mal, à l’existence d’un plan cohérent et compréhensible. L’essence même d’un cauchemar est de soulever tout le cosmos contre nous. Deux des prophéties de ces influences mauvaises se sont réalisées ; ne peut-on supposer que la troisième s’accomplira également ?

Elles en appellent aussi à l’inévitable, comme le mal le fait toujours (étant lui-même servile et convaincu que tous les hommes sont esclaves). Elles mettent Macbeth en présence de sa bonne fortune comme si c’était non pas tellement un hasard mais plutôt un destin. (…) Quand le démon, et les sorcières qui en sont les servantes, veulent amener un homme faible à s’emparer d’une couronne qui ne lui appartient pas, ils sont trop rusés pour lui dire : « Veux-tu être roi ? » Ils disent sans parlementer plus avant : « Salut à toi Macbeth, qui vas être roi dans les temps à venir! » Macbeth a vraiment cette faiblesse d’être facilement attiré par cette espèce de fatalisme spirituel qui décharge la créature humaine d’une grande part de sa responsabilité. À cet égard il y a quelque chose d’étrange et de mauvais augure dans la façon dont les promesses des esprits mauvais s’achèvent en fantaisies nouvelles, s’achèvent, si l’on peut dire, en plaisanteries tout simplement diaboliques. Macbeth accepte, comme faisant partie d’un destin irraisonné, d’abord son crime puis sa [63] couronne. Il convient que ce destin qu’il a accepté comme extérieur et irrationnel s’achève en incidents d’une platitude extravagante : la forêt en marche et l’étrange naissance de Macduff, À un moment donné, avec une sorte de foi obscure et mauvaise, il s’est lui-même abandonné au mécanisme d’un destin qu’il ne peut ni respecter ni comprendre et la stricte conséquence de ceci est que le mécanisme engendre une situation qui le broie comme quelque chose d’inutile.

Shakespeare ne veut pas dire que l’émotivité et la richesse rhétorique de Macbeth prouvent qu’il est efféminé au sens ordinaire. Mais Shakespeare entend, je crois, suggérer que l’homme, viril dans sa structure essentielle, a ce point de faiblesse dans son tempérament artistique; qu’il a cette peur de la simple force du destin et des esprits inconnus, de leur force en tant que distincte de leur vertu, ce qui est le seul vrai sens du mot superstition. Celui qui aime son Dieu, même si c’est une idole, ne peut être superstitieux. Macbeth a quelque chose de cette peur et de ce fatalisme; et le fatalisme est exactement le moment où le rationalisme passe silencieusement à la superstition. Bref, Macbeth possède un courage physique considérable et même beaucoup de courage moral. Mais il manque de ce qu’on peut appeler le courage spirituel; il manque d’une certaine liberté et de la dignité de l’âme humaine dans l’univers, une liberté et une dignité que l’un des écrivains bibliques exprime comme constituant la différence entre les serviteurs et les enfants de Dieu. »

Gilbert K. Chesterton ,
Les Macbeth, dans Le Sel de la vie,
Lausanne, L'Âge d'Homme, 2010, p. 60-62.
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