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1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 08:22
« On n'apprend point la musique au concert. Ce n'est pas que l'intérêt manque, mais l'intérêt n'est pas le tout. J'irais même jusqu'à dire que nous ne nous instruisons jamais à ce qui nous passionne. Alceste de tout son cœur voudrait comprendre Célimène ; mais, soit qu'il pardonne et admire, soit qu'il s'irrite, il est toujours dans un mauvais chemin. Descartes a osé dire que l'amour du vrai est la principale cause qui fait que l'on déraisonne. L'esprit ne prend force que dès qu'il domine assez son objet pour saisir et n'être point saisi. Aussi voyons-nous que le maître de musique n'est pas plus amusant qu'un autre. On peut même dire qu'il est plus ennuyeux que tout autre, et c'est un signe, à mes yeux, que la musique est mieux enseignée que la poésie. Imaginez le maître de violon cherchant à émouvoir ; il en résulterait aussitôt une prise passionnée de l'archet, et un effort sentimental de bien faire, qui se traduirait en grincements. C'est une vérité assez rude, et que les ateliers enseignent, qu'il faut se séparer d'abord de son premier amour. C'est bien lui qui nous conduit à la porte, mais il faut le laisser à la porte. En d'autres termes, il faut travailler, et conquérir par là un genre de bonheur que le désir n'apercevait point. On ne peut jouir de la géométrie avant d'être géomètre. Ainsi il y a de la vanité, au sens plein du mot, dans tous nos désirs. Nous happons d'abord la gloire, qui n'est rien de solide ; et la déception est au seuil de tous nos travaux, en ce sens-là. Mais dès que nous avançons dans le désert de l'étude, aussitôt nous conquérons la puissance, qui nous met bien au-dessus de toute gloire, ce qui est la vraie gloire. Je saisis cette gloire dans un vrai violoniste, ou dans un vrai chanteur, car la moindre vanité grince ou chevrote.
(...) Chacun ici se mesurera, comme on dit si bien. Les brouillons se reconnaîtront, par la vitesse, et par les fautes ; les tâtonnants, par l'inutile scrupule. Chacun se fera quelque idée d'une marche assurée et vive, d'une clairvoyance tranquille, sans timidité, sans ambition, sans prétention. Voilà l'esprit en son domaine, et aux prises avec lui-même. »
 

 

Alain,
Propos sur l'éducation ,
Paris, Quadrige/PUF, 1998 (1986), p. 141-143.


 

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