[44 | 82] Liasse II > GF, p. 63-64. | « Imagination. – |
*/ Cf. Montaigne, Essais, I, 14 : « notre opinion donne prix aux choses. »
**/ = les personnes lucides, ceux que la suite du texte appelle les « amis » de la raison.
***/ Cf. Montaigne, Essais, III, 8 : « Rien ne me dépite tant en la sottise que de quoi elle se plaît plus qu'aucune raison ne se peut raisonnablement plaire. C'est malheur que la prudence vous défend de vous satisfaire et fier de vous et vous en envoie [= vous renvoie] toujours malcontent et craintif là où l'opinâtreté et la témérité remplissent leurs hôtes d'éjouissance et d'assurance. C'est aux plus malhabiles de regarder les autres hommes par-dessus l'épaule, s'en retournant toujours du combat pleins de gloire et d'allégresse. Et le plus souvent encore cette outrecuidance de langage et de gaieté de visage leur donne gagné à l'endroit de l'assistance, qui est communément faible et incapable de bien juger et discerner les vrais avantages. »
****/ Pascal attribue à l'imagination de que Montaigne référait à la fortune ; cf. Essais, III, 8 : « On s'aperçoit ordinairement aux actions du monde que la fortune, pour nous apprendre combien elle peut en toutes choses, et qui rpend plaisir à rabattre notre présomption, n'ayant pu faire les malhabiles sages, elle les fait heureux, à l'envi de la vertu. »
[44 | 82] Liasse II > GF, p. 64-65. | « Qui dispense la réputation ? qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante ? Combien toutes les richesses de la terre [sont] insuffisantes sans son consentement ! |
*/ Cf. Montaigne, Essais, III, 8 : « Je me bande [= raidis] volontiers contre ces vaines circonstances qui pipent [= trompent] notre jugement par les sens ; et, me tenant au guet de ces grandeurs extraordinaires, ai trouvé que ce sont, pour le plus, des hommes comme les autres. »
**/ Ce prédicateur achève par là de ressembler à un personnage de farce ; cf. La Jalousie du Barbouillé, de Molière, où le personnage principal jouait le visage enfariné ou maculé de lie-de-vin.
***/ Cf. Montaigne, Essais, II, 12 : « Qu'on loge un philosophe dans une cage de menus fliets de fer clairsemés, qui soit suspendue au haut des tours Notre-Dame de Paris, il verra par raison évidente qu'il est impossible qu'il en tombe, et si [= pourtant] ne se saurait garder (s'il n'a accoutumé le métier des recouvreurs) que la vue de cette hauteur extrême ne l'épouvante et ne le transisse. Car nous avons assez affaire de nous assurer aux galeries qui sont en nos clochers, si elles sont façonnées à jour, encore qu'elles soient de pierre. Il y en a qui n'en peuvent pas seulement porter la pensée. Qu'on jette une poutre entre ces deux tours, d'une grosseur telle qu'il nous la faut à nous promener dessus: il n'y a sagesse philosophique de si grande fermeté qui puisse nous donner courage d'y marcher comme nous le ferions, si elle était à terre. » L'exemple de la poutre servant à illustrer le pouvoir de l'imagination remonte à saint Thomas d'Aquin (Somme contre les Gentils, III, 103 ; Somme Théologique, III, q.13, art. 4 : « le corps obéit naturellement à l'imagination, si elle est forte, relativement à certaines choses, comme par exemple quand on tombe du haut d'une poutre qui se trouve très élevée »), qui le tient lui-même d'Avicenne (De l'Âme, IV, 4). Pascal remplace la succession de tableaux que décrit Montaigne par une représentation unique qui en fait la synthèse. Remarquer la force expressive de l'anacoluthe qui impose au lecteur l'ipression d'une chute du philosophe dans le vide.
****/ Cf. Montaigne, Essais, I, 21 : « Nous ressuons [= suons abondamment], nous tremblons, nous pâlissons et rougissons aux secousses de notre imagination. »
[44 | 82] Liasse II > GF, p. 65. > LdP, p.68-69. > F, p. 78. | « Je ne veux pas rapporter tous ses effets. |
*/ Cf. Montaigne, Essais, II, 12 : « Les médecins tiennent qu'il y a certaines complexions aui s'agitent par aucuns sons et instruments jusqu'à la fureur. j'en ai vu qui ne pouvaient ouïr ronger un os sous leur table sans perdre patience ; et n'est guère homme qui ne se trouble à ce bruit aigre et poignant que font les limes en raclant le fer ; comme, à ouir mâcher près de nous, ou ouïr parler quelqu'un qui ait le passage du gosier ou du nez empêché, plusieurs s'en émeuvent jusques à la colère et la haine ». L'exemple du chat se trouve chez Descartes (Les Passions de l'âme, art. 136 : « les étranges aversions de quelques-uns qui les empêchent de souffrir (...) la présence d'un chat » )
**/ Cf. Montaigne, Essais, II, 12 : « On m'a voulu faire accroire qu'un homme, que tous nous autres Français connaissons, m'avait imposé en me récitant des vers qu'il avait faits, qu'ils n'étaient pas tels que sur le papier qu'en l'air, et que mes yeux en feraient contraire jugement à mes oreilles, tant la prononciation a de crédit à donner prix et façon aux ouvrages qui passent à sa merci »
***/ Cf. Montaigne, Essais, II, 12 : « Vous récitez simplement une cause à l'avocat, il vous y répond chancelant et douteux : vous sentez qu'il lui est indifférent de prendre à soutenir l'un ou l'autre parti ; l'avez-vous bien payé pour y mordre et pour s'en formaliser, commence-t-il d'en être intéressé, y a-t-il échauffé sa volonté ? sa raison et sa science s'y échauffent quant et quant [= en même temps] ; voilà une apparente et indubitable vérité qui se présente à son entendement ; il y découvre une toute nouvelle lumière, et le croit à bon escient, et se le persuade ainsi. »
****/ Cf. Montaigne, Essais, II, 12 : « Vraiment, il y a bien de quoi faire une si grande fête de la fermeté de cette belle pièce, qui se laisse manier et changer au branle et accidents d'un si léger vent ! » La belle pièce est le jugement et le léger vent, celui de la voix.
*****/ Cf. Montaigne, Essais, II, 12 : « Les secousses et ébranlements que notre âme reçoit par les passions corporelles peuvent beaucoup en elle, mais encore plus les siennes propres, auxquelles elle est si fort en prise qu'il est à l'aventure soutenable qu'elle n'a aucune autre allure et mouvement que du souffle de ses vents... »
******/Témérairement comporte l'idée de hasard, conformément à l'étymologie. Cf. fragment [L60|B294|S94|LG56] qui évoque « la témérité du hasard qui a semé les lois humaines ».
*******/ Lafuma/Sellier : rien ; Brunschvicg : « Qui voudrait ne suivre que la raison serait fou au jugement du commun des hommes. Il faut juger au jugement de la plus grande partie du monde. » ; Le Guern : « Qui voudrait ne suivre que la raison serait fou prouve au jugement de la plus grande partie des hommes du monde. »
[44 | 82] Liasse II > GF, p. 66. | « Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s’emmaillotent en chats fourrés* [Laf : chaffourés], les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n’avaient des soutanes [= robes] et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties [= des quatre cinquièmes], jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice, et si les médecins avaient le vrai art de guérir ils n’auraient que faire de bonnets carrés ; la majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle-même. Mais n’ayant que des sciences imaginaires, il faut qu’ils prennent ces vains instruments qui frappent l’imagination à laquelle ils ont affaire ; et par là, en effet, ils s’attirent le respect. Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu’en effet leur part est plus essentielle ils s’établissent par la force, les autres par grimace. |
*/ Chats fourrés : surnom donnés aux magistrats et universitaires qui portaient sur l'épaule, en insigne de leur dignité, un chaperon fourré, bourrelé circulaire à pendants d'étoffe garni d'hermine.
**/ Cf. fragment [L25|B308|S59|LG23].
***/ Il s'agit du Grand Turc, évoqué au fragment [L17|B113|S51|LG15].
****/ Cf. Montaigne, Essais, III, 8 : « la gravité, la robe et la fortune de celui qui parle donne souvent crédit à des propos vains et ineptes ; il n'est pas à présumer qu'un monsieur si suivi, si redouté, n'ait au-dedans quelque suffisance autre que populaire. »
[44 | 82] Liasse II > GF, p. 67. | « L’imagination dispose de tout ; elle fait la beauté, la justice et le bonheur, qui est le tout du monde. Je voudrais de bon cœur voir le livre italien, dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres : Della opinone regina del mondo*. J’y souscris sans le connaître, sauf le mal, s’il y en a. |
*/ = De l'opinion, reine du monde. L'ouvrage n'a pas pu être repéré avec certitude. Pascal pourrait faire allusion, de mémoire, à La Forza dell'opinione, dramma morale de Francesco Sbarra, publié pour la première fois à Lucques en 1658.
**/ Cf. Descartes, Les Principes de la philosophie, I, 47 : « Que pour ôter les préjugés de notre enfance, il faut considérer ce qu'il y a de clair en chacune de nos premières notions. Or, pendant nos premières années, notre âme ou notre pensée était si fort offusquée du corps, qu'elle ne connaissait rien distinctement... »
***/ Opinion de Descartes ; cf. Les Principes de la philosophie, II, 17-18.
****/ L'Ecole : l'enseignement de la théologie et de la philosophie (celle-ci incluant la physique) selon les principes et la méthode de l'Université médiévale. Dans la ligne aristotélicienne, l'Ecole prétend que la « nature a horreur du vide » . descartes, qui a pourtant combattu la scolastique, s'accordait avec elle pour nier le vide. Pascal a soutenu le contraire dans les Expériences nouvelles touchant le vide (1647) ; par ses expériences, il prouve que les effets qui sont attribués à la prétendue horreur du vide de la nature sont s'expliquent en réalité par la pesanteur de l'air (Récit de la grande expérience de l'équilibre des liqueurs, 1648).
[44 | 82] Liasse II > GF, p. 67-68. | « Nous avons un autre principe d’erreur : les maladies. Elles nous gâtent le jugement et le sens. Et si les grandes l’altèrent sensiblement, je ne doute pas que les petites n’y fassent impression à leur proportion*. |
*/ Cf. Montaigne, Essais, II, 12 : « Il est certain que notre appréhension, notre jugement et les facultés de notre âme en général souffrent selon les mouvements et altérations du corps (...) ce ne sont pas seulement les fièvres, les breuvages et les grands accidents qui renverseent notre jugement ; les moindres choses du monde le tournevirent. Et ne faut pas douter, encore que nous ne le sentions pas, que, si la fièvre continue peut atterrer notre âme, que la tierce n'y apporte quelque altération selon sa mesure et proportion. »
**/ Cf. Guez de Balzac, Aristippe ou De la cour , Discours VI (1658) : « J'ai vu de ces faux justes deçà et delà les monts. J'en ai vu qui, pour faire admirer leur intégrité, et pour obliger le monde de dire que la faveur ne peut rien sur eux, prenaient l'intérêt d'un étranger contre celui d'un parent ou d'un ami, encore que la raison fut du côté du parent ou de l'ami. Ils étaient ravis de faire perdre la cause qui leutr avait été recommandée par leur neveu ou par leur cousin germain ; et le plus mauvais office qui se pouvait rendre à une bonne affaire était un semblable recommandation. Lorsque plusieurs compétituers prétendaient à une même charge, ils la demandaient pour celui qu'ils ne connaissaient point, et non pour celui qu'ils jugeaient digne. »
***/ Cf. Montaigne, Essais, II, 17 : « J'ai l'esprit tardif et mousse, le moindre nuage lui arrête sa pointe... »
****/ Cf. Montaigne, Essais, II, 12 : « Cette même piperie que les sens apportent à notre entendement, ils la reçoivent à leur tour. Notre âme parfois s'en revanche de même ; ils mentent et se trompe à l'envi. »
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