George Dyson, de la bombe atomique au monde numérique.
Ci-dessus, conversation pour le projet In Limbo,
ci-dessous, présentation TEDx plus longue de l'histoire de l'ordinateur,
dont Dyson voit l'idée fondamentale dès 1656 avec la notion de computation chez Hobbes !
« « Clausewitz a commencé son grand livre, De la guerre, à la fin du règne de Napoléon et il y a travaillé jusqu’à sa mort. En trente ans, il n’a pas réussi à le terminer. Achever Clausewitz, c’est donc essayer de penser le livre dans sa totalité. Un politologue aussi prestigieux que Raymond Aron l’avait fait dans son propre livre : Penser la guerre, Clausewitz, paru en 1976. Pour ma part, j’ai découvert Clausewitz dans une édition américaine et j’ai été frappé par le terme de “montée aux extrêmes” qu’il utilise concernant les rapports guerriers. Cette formule dément l’humanisme des Lumières qui suggère que les rapports normaux entre les hommes sont un peu comme ceux des boules de billard : leur action est prévisible, purement rationnelle. Or Clausewitz, qui est pourtant un homme des Lumières, va mettre en évidence ce qui est implicite dans les rapports humains quand ils deviennent hostiles. Il nous dit des choses fondamentales sur cette loi de l’imitation qui nourrit l’emballement guerrier et peut mener au pire.
[…] Aron croyait aussi que nous étions entrés dans une ère où les moyens de destruction étaient démesurés, mais il pensait que nous étions assez raisonnables pour ne pas nous en servir. Aujourd’hui, il serait peut-être obligé de constater l’échec de la politique de l’Occident qui n’a pas réussi à empêcher la prolifération des armes atomiques, comme on le voit avec l’Iran. Ce que Clausewitz a dit au fond sur la “montée aux extrêmes”, où le pire peut se produire à travers une violence non maîtrisable, se poursuit donc à mes yeux. C’est la loi même de l’histoire.
[…] Ce qu’il y a de fascinant dans les relations entre les peuples, ce sont les projections : chacun voyant l’autre comme il voudrait qu’il soit. Par exemple, ce que les Français ont dit des Allemands après la guerre de 1870, les Allemands l’avaient dit des Français. Que leur langue était dure et rébarbative, faite pour le commandement militaire ! Dans son livre, Clausewitz écrit même ceci : “La France est la nation guerrière par excellence.” On croit rêver.
[…] Il semble que nous ne parvenions pas à penser le pire et c’est à cela que peut nous aider Clausewitz. Il y a aujourd’hui trois questions terrifiantes : l’écologique avec la raréfaction des ressources naturelles, la militaire avec l’accroissement des forces de destruction nucléaire et celle des manipulations biologiques.
[…] C’est ici que le christianisme a quelque chose de singulier à nous dire : renoncer à la violence, c’est sortir du cycle de la vengeance et des représailles. L’apocalypse n’est pas la violence de Dieu comme le croient les fondamentalistes, c’est la montée aux extrêmes de la violence humaine. Seul un nouveau rationalisme qui intègre la dimension religieuse de l’homme peut nous aider à affronter la nouvelle donne.
[…] Dans le pacifisme, on vous demande de faire “ami ami” avec vos ennemis. Il n’y a plus d’ennemi. Dans l’Évangile, l’ennemi subsiste mais nous n’avons pas tous les droits sur lui. C’est la différence entre la morale cornélienne d’un Péguy, qui nourrira le meilleur de la tradition militaire française, et les valeurs de Clausewitz, qui mènent à la guerre totale et à la destruction de l’adversaire. Dans le duel cornélien à la française, la bataille est aussi importante que la victoire, avec Clausewitz, c’est le résultat qui importe avant tout. Mais à quoi bon vaincre, si, par les méthodes barbares que l’on a utilisées, on a perdu les raisons que l’on avait de vivre ? » . »
« Quant aux œuvres d’art ou de l’artisanat […] les formes de cette sorte ne méritent un nom que lorsqu’elles sont achevées, ou totalement finies, ou bien si avancées que leur forme ultime peut être aperçue à l’avance ou presque devinée.
[…] On peut parler d’un “jeune” arbre (ou “baliveau”), et d’un “jeune” homme (ou “enfant”), jugeant la forme être celle d’un arbre ou d’un homme, mais il en est ainsi parce que la mémoire et l’expérience jugent […] que cet arbre ou cet homme est à une étape précoce de son développement. Mais en regardant un artisan faire une chaise, nous n’appellerons pas la première étape une “jeune” chaise. Nous dirions à différent moments qu’il était en train de faire quelque chose qui est (disons) en bois ; qu’il était en train de faire un meuble ; et qu’il était sur le point de faire une chaise (quand la forme était si avancée que nous pouvions le deviner). Mais nous n’appellerons pas son travail “une chaise” avant qu’elle ne soit finie. »
J.R.R. Tolkien, Fragments sur la réincarnation elfique, dans J.R.R. Tolkien, l'Effigie des Elfes,
« La tâche première de toute théorie est de mettre de l’ordre dans les concepts et les représentations confuses et étroitement entremêlées. Ce n’est que lorsqu’on s’est entendu sur les termes et les concepts que l’on peut espérer progresser avec clarté et simplicité dans l’examen des problèmes [...].
Celui qui ne voit dans tout cela que vacuité doit certainement ne tolérer acune réflexion théorique ; ou peut-être n’a-t-il pas encore souffert de ces représentations confuses et embrouillées, qui ne reposent sur rien de solide et n’atteigent aucun résultat satisfaisant, tantôt plâtes, tantôt extravagantes, tantôt baignant dans une généralité creuse. »
Clausewitz De la Guerre, Paris, Rivages poches,
Petite Bibliothèque no530,
2014 (2006), p. 127-129.