Suite et fin des extraits de l'essai de G. K. Chesterton sur Macbeth :
« Mais Macbeth, en tant qu’homme investi, mais de façon défectueuse, des qualités de l’homme, ne peut se manifester [64] que dans sa relation avec ce qui caractérise sa femme. Et le problème de Lady Macbeth réveille aussitôt les controverses qui ont entouré cette pièce. Miss Ellen Terry et Sir Henry Irving jouèrent Macbeth selon la théorie que Macbeth était un homme débile et perfide et que Lady Macbeth était une femme fragile qui s’accrochait à lui. Une vue assez semblable de Lady Macbeth a été, je crois, exprimée avec logique par une actrice américaine de renom. Le problème communément évoqué peut se résumer : Macbeth était-il vraiment masculin ? d’autre part, Lady Macbeth se trouvait-elle n’être pas vraiment féminine ? (…)[65] L’exacte vérité au sujet de Macbeth et de son épouse est quelque peu étrange mais mérite d’être affirmée avec force. Nulle part ailleurs dans toute son œuvre prodigieuse, Shakespeare n’a décrit le véritable caractère des relations entre les sexes avec autant de bon sens et de façon aussi satisfaisante. L’homme et la femme ne sont jamais plus normaux qu’ils ne le sont dans cette histoire anormale et effroyable. Roméo et Juliette ne décrit pas mieux l’amour que n’est ici dépeint le mariage. Le conflit qui se développe entre Macbeth et son épouse à propos du meurtre de Duncan est presque mot pour mot une discussion au sujet d’autre chose, autour de n’importe quelle table de banlieue au petit déjeuner. Il suffit simplement de changer : « Débile sans volonté, donne-moi les poignards » en « Débile sans volonté, donne-moi les timbres-poste ». Et c’est une grossière erreur d’imaginer que la femme puisse être appelée masculine ou même forte, au sens spécifique. La force de chaque partenaire est de nature différente. La femme a, sur-le-champ, plus de cette force qu’on appelle le zèle. L’homme a, en réserve, plus de cette force qu’on appelle la paresse.
Mais la vérité pénétrante de cette relation est encore beaucoup plus profonde que cela. Lady Macbeth fait preuve d’une magnanimité suspecte et stupéfiante tout à fait propre aux femmes. C’est-à-dire qu’elle fera quelque chose que son mari n’a pas osé faire mais qu’elle sait qu’il voudrait faire et elle y deviendra plus farouche que lui. Pour elle, comme pour toute âme féminine (forte, par définition), l’égoïsme est la seule chose qui soit intensément ressentie comme un péché; elle est prête à commettre n’importe [66] quel crime à condition que ce ne soit pas seulement pour elle-même. Son mari est assoiffé de crime d’une façon égoïste, donc vague, obscure et subconsciente, comme un homme prend conscience des débuts d’une soif physique. Quant à elle, sa soif de crime est altruiste, donc claire et nette, comme un homme perçoit un devoir public envers la société. Elle situe le fait en termes précis et accepte les extrêmes. Elle a ce parfait et splendide cynisme des femmes qui est bien la chose la plus terrible que Dieu ait faite. Je le dis sans ironie et sans satisfaction excessive pour cette légère touche d’humour.
Si vous voulez savoir ce que sont les relations permanentes de l’homme et de la femme mariés, vous ne le trouverez nulle part exposé avec plus de précision que dans la petite idylle domestique entre M. et Mme Macbeth. D’un homme si viril et d’une femme si féminine, je ne puis rien croire sinon qu’ils sauvent finalement leur âme. Macbeth, jusqu’au dernier instant, fut fort dans toute l’acceptation masculine du terme; il se tua lui-même au combat. Comme je viens de le dire, je ne puis croire que des âmes aussi fortes et aussi essentielles n’aient pas gardé ces facultés permanentes d’humilité et de gratitude qui, finalement, conduisent l’âme au ciel. Mais, où qu’ils soient, ils sont ensemble. Car seuls parmi tant de personnages imaginés par l’homme, ils sont vraiment mariés. »
Gilbert K. Chesterton ,
Les Macbeth, dans Le Sel de la vie,
Lausanne, L'Âge d'Homme, 2010, p. 63-66.
• Premier extrait : cette unique chose cruelle
• Deuxième extrait : l'influence du mal sur l'âme